Projet de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, l’opposition est toujours forte

Le projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin va faire l’objet d’une « commission d’enquête populaire » lancée par des députés de l’opposition. Une procédure informelle qui vise notamment à déterminer la « légalité du tracé« . Pour rappel des faits, en Savoie, des militants écologistes des Soulèvements de la Terre sont entrés le 29 mai 2023 sur l’un des chantiers de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Un week-end de mobilisation franco-italienne contre ce projet est organisé le 17 et 18 juin prochain en Maurienne, une banderole « La montagne se soulève » a été même déployée pour mobilisé des personnes pour ce week-end. Des députés insoumis et écologistes ont annoncé, mercredi 14 juin, le lancement d’une « commission d’enquête populaire » pour dénoncer le coût « démesuré » et la nocivité, selon eux, pour l’environnement du projet de nouvelle ligne ferroviaire à travers les Alpes. Depuis l’été 2022, c’est la question de la ressource en eau et des impacts du chantier du tunnel transfrontalier sur celle-ci qui cristallise les tensions. Depuis l’été 2022, la ressource en eau et des impacts du chantier du tunnel transfrontalier sur celle-ci qui cristallise les tensions. Elle sera d’ailleurs au cœur de la mobilisation des 17 et 18 juin 2023 en Maurienne, permettant ainsi une articulation avec les autres mobilisations impulsées ces derniers mois par les Soulèvements de la Terre. Une controverse sur le tarissement des sources qui existe depuis vingt ans en Maurienne.

Inventé dans les années 1980, le projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin a connu depuis de nombreux retardements, notamment en ce qui concerne le tracé entre l’agglomération lyonnaise et Saint-Jean-de-Maurienne. Dix ans après la déclaration d’utilité publique (DUP) de 2013, les décisions concernant les 140 km de nouvelles voies d’accès français au tunnel transfrontalier de 57,5 km n’ont toujours pas été prises : ni programmation, ni financement, ni acquisition foncière. Initialement, le coût de cette ligne s’élevait à 8,6 milliard d’euro,  mais aujourd’hui, il est à 26 milliards d’euros.  Ce dernier est pris en charge par un consortium d’entreprises franco-italiennes nommé Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), un promoteur public appartenant à 50 % à l’État français et à 50 % aux chemins de fer italiens. Ce projet reste clivant et son avenir est incertain, pour ses promoteurs, elle est dévoilée comme une infrastructure de transport utile à la transition écologique. Car, elle permettrait avec le temps, désengorger les vallées alpines du trafic des poids lourds en encourageant le report modal de la route vers le rail. À l’inverse, ce projet est exposé par ses opposants comme pharaonique, inutile et destructeur de l’environnement. Ils argumentent que la ligne ferroviaire existante entre Lyon et Turin et actuellement sous-utilisée permettrait, une fois rénovée, de réduire le transport de fret par camion. De leurs côtés, les défenseurs du nouveau projet jugent la ligne existante comme obsolète et inadapté. De ce débat, les prévisions de trafic autour des flux de marchandises transitant par la Savoie : sous-estimés pour les uns, sur-estimés pour les autres. Une majorité des maires de la métropole de Lyon ont appelé le 6 juin à « l’union sacrée » pour défendre la nouvelle liaison ferroviaire, appelant le gouvernement à respecter ses engagements. Leur « appel solennel« , signé par les édiles de 42 des 59 communes du Grand Lyon, principalement de droite et du centre, accusait l’exécutif métropolitain, dominé par EELV et LFI, de vouloir « faire dérailler le projet » en le présentant « comme un danger pour la planète« .

 

Un projet qui divise et qui s’avère être encore long 

Mais pour les députés insoumis et écologiste, « c’est un projet écocidaire et de gaspillage de l’argent public », a lancé la cheffe de file des députés insoumis Mathilde Panot, en présentant devant la presse cette initiative informelle qui associe notamment le syndicat Sud-Rail et l’association « Vivre et agir en Maurienne ». Du côté de Cyrielle Chatelain, la cheffe des députés écolos a blâmé « un projet complètement démesuré, en termes de montants financiers et de coût environnemental ».  Les deux parlementaires pensent que la « commission populaire » contribuera à ce que les débats autour de ce projet contesté soient portés au « niveau national ».

Les protagonistes souhaitent entendre certaines personnalités politiques comme la Première ministre Elisabeth Borne, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe   ou encore Clément Beaune, ministre des Transports. Cependant, cela reste une éventuelle sans garantie. Le député LFI Gabriel Amard a précisé, l’objectif est de publier un rapport « d’ici à six à huit mois ». Il devra évaluer le potentiel de la ligne déjà existante et « la légalité du tracé » de la nouvelle, avec ses tunnels, ainsi que le respect des procédures et des réglementations par les services de l’État.

Le 24 février dernier, le rapport du Comité d’orientation des infrastructures (COI) suggère de décaler la construction de nouvelles voies d’accès au tunnel transfrontalier à 2045 et donc ainsi offrir la première place à la modernisation de la ligne existante. Le scénario choisi par la Première ministre prévoit alors le calendrier  : études pour de nouveaux accès au tunnel au quinquennat 2028-2032, début de réalisation à partir de 2038, et une livraison au minimum vers 2045… soit, en cas de respect du calendrier annoncé par TELT, 13 ans après la mise en service du tunnel. Ainsi, il y a la perspective d’un nouveau tunnel sans nouvelles voies d’accès : un scénario qui ne satisfait ni les défenseurs ni les opposants au projet. Le 12 juin, contrecoup, le ministre des Transports annonce 3 milliards d’euros de crédits pour les voies d’accès du tunnel transfrontalier dès les projets de loi de finances 2023 et 2024. Le gouvernement valide également le financement de l’avant-projet détaillé qui doit fixer le tracé, soit environ 150 millions d’euros.

Ce projet de nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin révèle aussi et une lecture ancienne du territoire européen à travers les enjeux de mobilité. Il contribue à une forme d’aplanissement de la montagne pour en rendre les passages plus aisés et ainsi permettre des flux massifs et rapides. Cette norme de circulation des humains et des marchandises est révélatrice d’une vision du monde particulière. L’historienne Anne-Marie Granet-Abisset la résume ainsi : « Elle correspond aux modèles édictés par les aménageurs (politiques et techniques) qui travaillent dans les capitales européennes, désirant imposer leur vision aux territoires qu’ils gèrent, en dépit des sommes considérables mobilisées pour ce faire. Toute opposition ne peut être entendue, présentée alors comme de la désinformation ou de la mauvaise foi .»